Carnet de bord d’un thérapeute familial

Mony Elkaïm, l’une des grandes figures de la thérapie familiale, vit et consulte à Bruxelles. Enseignant, écrivain, directeur d’un centre de recherche et d’une collection d’ouvrages, il partage sans compter sa passion pour l’approche systémique. Entre l’université, l’hôpital et ses consultations privées, il nous raconte sa semaine.

Mony Elkaïm est neuropsychiatre, professeur à l’université libre de Bruxelles, directeur de l’Institut d’études de la famille et des systèmes humains (Bruxelles), directeur de la collection “Couleur psy” aux éditions du Seuil. Il est également le fondateur de l’Association européenne de thérapie familiale et vice-président de l’Association européenne de psychothérapie. Il a publié notamment Si tu m’aimes, ne m’aime pas, Panorama des thérapies familiales (Seuil, “Points”, 2001 et 2003) et A quel psy se vouer ? (Seuil, “Couleur psy”, 2003). A paraître en septembre Comment survivre à sa propre famille (Seuil, 2006)

Lundi

 

Je donne mon cours à l’université libre de Bruxelles. L’un des enseignements de la thérapie familiale, c’est que le thérapeute n’est pas une entité séparée de la famille ou du patient. Il n’est pas dissociable du système qu’il observe, et qu’il modifie par sa présence même. Mon objectif est d’aider les étudiants à en prendre conscience. Pour ce faire, je les invite à simuler un entretien avec un patient et sa famille. Après quelques minutes de jeu, je demande aux autres de me dire ce qu’ils ont observé. L’un a vu un père effacé, l’autre a été frappé par la distance qui sépare enfants et parents, quant au troisième, il évoque cette chaise sur l’estrade qui est restée vide…

 

Je veux montrer à chacun que ce qu’il a remarqué est aussi lié à son histoire propre. Mais je veux également leur faire sentir autre chose – que le sentiment qui a surgi en eux a une fonction dans le système qu’ils forment avec la famille consultante. Si tel élément lié à leur histoire s’amplifie, c’est parce qu’il renforce les croyances profondes de tel ou tel membre de la famille, faisant ainsi entrer le thérapeute et les consultants dans une danse répétitive. Au thérapeute, si c’est possible, d’esquisser les pas d’une autre danse, plus propre à susciter un changement.

Mardi et mercredi

Je dirige, à Paris, une formation à l’approche systémique. Y participent des psychiatres, des psychologues et des travailleurs du champ psycho-médico-social. Ces deux journées donnent aux participants l’occasion de travailler sur leur pratique.

Une jeune thérapeute ressent à l’égard d’une patiente de l’irritation et du désespoir, lié au sentiment d’être dans l’incapacité de prévoir ce qui va se passer. Elle ne voit pas de lien avec sa propre histoire. « Bien, lui dis-je, j’aimerais que nous montions ensemble dans une machine à remonter le temps. Asseyez-vous et dites-moi : jusqu’à quand voulez-vous que nous remontions ? » Voici que la jeune femme m’emmène dans sa famille, quand elle avait 6 ans. Nous entrons, invisibles, dans la maison où elle a grandi et y trouvons un père déprimé, qui irrite et désespère la fillette par son comportement imprévisible.

De retour dans le présent, il nous reste à comprendre en quoi l’amplification chez sa thérapeute de ce vécu ancien est utile pour la patiente. La jeune femme relève alors que sa patiente a toujours eu tendance à se considérer comme quelqu’un qui ne pouvait qu’irriter ou désespérer son entourage. Elle a ainsi pu repérer le pont singulier qui la reliait à elle. Elle n’a plus qu’à l’emprunter.

Jeudi

Cette journée est consacrée aux patients que je reçois à Bruxelles en consultation privée. En les écoutant, j’ai le sentiment de comprendre chaque jour un peu mieux la force de l’approche systémique. Recevant ce jour-là un couple en conflit, il m’apparaît une fois de plus que leur problème n’est pas celui de l’un ou de l’autre, mais qu’il réside dans leur relation. C’est elle le vrai patient, c’est elle qu’il faut traiter.

Vendredi

Hôpital universitaire Erasme à Bruxelles. Des familles viennent me rencontrer avec leur « patient désigné » hospitalisé. Ce jour-là, il s’agit d’un garçon de 15 ans qui ne se nourrit pas. Le patient se plaint de l’absence de lien affectif avec son père, et nous découvrons que le père fait le même reproche à son propre père. Ce fils, qui reprend d’ailleurs sans s’en rendre compte des phrases du grand-père défunt, semble prendre la place de cet homme qui fut gravement et longtemps malade. Peut-être aide-t-il ainsi son père à réussir (cette fois à travers lui) à établir un lien satisfaisant avec cet homme trop distant ? La famille est surprise par cette hypothèse, mais le père lui-même se met à évoquer diverses situations où il revit avec son fils ce qu’il vivait avec son propre père.

Ce recadrage de la symptomatologie du fils ouvrira-t-il d’autres perspectives ? L’histoire de ce fils mis à la place d’un ancêtre ne me concerne-t-elle pas également ? Et n’est-ce pas cette implication qui donne sa force à cette hypothèse ? Telles sont les questions qui m’agitent à la fin de la journée. Il me reste deux jours, avant lundi, pour oublier que je suis psychothérapeute.

La thérapie systémique

Les psychothérapies familiales sont apparues aux Etats-Unis dans les années 1950. Mais c’est grâce à l’école de Palo Alto (Gregory Bateson, Don Jackson, Paul Watzlawick…), en Californie, que s’est élaborée une conception systémique de la maladie mentale et des troubles psychologiques. La famille est alors appréhendée comme un système, et le symptôme n’est plus réductible au patient qui souffre ; il doit être replacé, pour être compris, dans ce contexte systémique et relationnel.
Le thérapeute va dès lors chercher à modifier les règles du système familial pour libérer le « patient désigné » du symptôme qu’il porte.

Article écrit par psychologie magasine – http://www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Therapies-familiales/Articles-et-Dossiers/Carnet-de-bord-d-un-therapeute-familial

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