EMDR : le vrai mode d’emploi

Bouger les yeux pour guérir l’esprit ? C’est le pari de l’EMDR, méthode fondée par la psychologue américaine Francine Shapiro, auteure du livre de référence Des yeux pour guérir. Utilisée à bon escient, cette technique offre des résultats étonnants mais soulève de nombreuses interrogations : A qui s’adresse-t-elle ? Quel thérapeute choisir ? Explications.

L'EMDR

C’est par hasard, lors d’une promenade en mai 1987, que la psychologue américaine Francine Shapiro découvrit que ses « petites pensées négatives obsédantes » disparaissaient quand elle faisait aller et venir rapidement ses yeux de gauche à droite. Il ne lui en fallut pas davantage pour proposer l’exercice à ses collègues, l’expérimenter auprès de ses patients et créer l’EMDR, avec des résultats éclatants – notamment pour les états de stress posttraumatique (ESPT) subis par les victimes de conflits, d’attentats, de violences sexuelles ou de catastrophes naturelles.
Devenue chercheuse au Mental Research Institute de Palo Alto, le docteur Shapiro a reçu en 2002 le prix Sigmund Freud, plus haute distinction mondiale en psychothérapie. Entre-temps, soixante mille praticiens avaient été formés à l’EMDR dans plus de quatre-vingts pays, une association humanitaire était née pour intervenir après les grandes catastrophes. Les études, dont celles sur les ESPT menées par l’administration américaine chargée des anciens combattants, ont confirmé l’efficacité de l’EMDR. Les personnes traitées se comptent aujourd’hui par centaines de milliers, avance Francine Shapiro (aux Etats-Unis, chaque victime directe ou indirecte d’une catastrophe -attentat, accident d’avion… – à la possibilité d’être traitée rapidement par EMDR).

 

QUAND ?

Après un traumatisme
La méthode ne s’applique pas qu’aux grands chocs, mais aussi aux plus petits traumatismes, comme les expériences pénibles laissant un souvenir trop empreint de souffrance. « Venue consulter pour des angoisses et des paniques auxquelles je ne trouvais aucune cause, raconte Cécile, la quarantaine, en réponse à notre appel à témoins sur Psychologies.com, j’ai choisi un souvenir pénible où j’avais pris la fuite. Après une série de “balayages”, j’ai senti une douleur très forte dans mes jambes. Mon thérapeute m’a alors demandé de regarder ses doigts et a répondu : “OK, on va faire partir ça !” La douleur et l’émotion liées au souvenir ont disparu en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’étais scotchée ! Puis, nous avons installé une croyance positive à la place de la croyance négative en rapport avec cette émotion. “Je suis nulle” devait être remplacé par “Je suis quelqu’un de bien”. Soudainement très calme, je me suis sentie respirer comme jamais. »
L’EMDR peut aussi se révéler efficace dans d’autres types d’affections, comme la toxicomanie, l’anorexie ou la dépression. « Cette méthode voit s’ouvrir sans cesse de nouvelles perspectives, telles la dépression sans cause traumatique ou la schizophrénie à ses débuts », explique Jacques Roques, psychologue, psychanalyste et vice-président d’EMDR-France. Seuls les cas de psychose, les états suicidaires et les troubles cardiaques récents figurent parmi les contre-indications.

 

COMMENT ?

Dissocier émotion et souvenir
Souvenir et émotion négative contre croyance positive. Le secret serait-il dans la tension entre ces représentations contradictoires, dans leur évaluation plusieurs fois par séance, ou réside-t-il dans les mystérieux balayages des yeux ? Marie, institutrice trentenaire, en livre les détails : « Je devais, en restant dans mon souvenir et dans l’émotion qu’il suscitait, fixer les mouvements que la thérapeute faisait avec sa main, de gauche à droite. Une quinzaine d’allers-retours cadencés, amples et précis, larges de un mètre environ. Ensuite, nous avons fait une pause en reparlant de la scène et de mon émotion. J’avais le sentiment qu’elle cherchait à m’y faire rentrer tout à fait. Après la deuxième séquence de mouvements, je me sentais différente, plus calme. Nous avons recommencé encore deux fois, avec des pauses où l’on évaluait le degré de l’émotion. A la fin, j’étais apaisée. »
« Il y a de l’hypnose là-dedans, et beaucoup d’autres choses inspirées de la sophrologie, du comportementalisme ou des sciences cognitives », reconnaît Francine Shapiro. Mais le souvenir traumatique ne s’évanouit pas, aucun claquement de doigts ne vient effacer une portion de temps. Le réconfort ne vient pas non plus par suggestion ou relaxation, et encore moins par immersion avec « visite » des lieux du drame. Il ne repose pas sur des mots, des images ou des sons, comme dans la majorité des thérapies. « C’est différent, explique Marie. On est au cœur d’une émotion qui nous emporte, et petit à petit elle nous quitte, ou du moins va se blottir quelque part où elle ne fait plus mal. On sait qu’elle est là, qu’on l’a vécue, mais c’est un souvenir. » « Je regarde le passé autrement, précise Claire, 50 ans, consultante. Au lieu de subir, je me sens protégée et plus dynamique. »

POURQUOI ?

Désactiver l’émotion
Même si l’EMDR pose en postulat que l’esprit possède, comme le corps, une capacité à s’autoguérir, on peut s’interroger sur une telle simplicité. La réponse réside dans une conception nouvelle du traumatisme, qui fait appel à la neurologie. « Chaque événement douloureux laisse une marque dans le cerveau, précise le psychiatre David Servan-Schreiber, qui a introduit la méthode dans l’Hexagone, et qui préside l’association EMDR-France. Celui-ci effectue alors un travail de “digestion” permettant aux émotions qui accompagnent le souvenir de se désactiver. A moins que le traumatisme ait été trop fort ou ait frappé à une période où nous étions vulnérables. Dans ce cas, les images, les pensées, les sons et les émotions liés à l’événement sont stockés dans le cerveau, prêts à se réactiver au moindre rappel du traumatisme. Dans l’EMDR, le mouvement oculaire “débloque” l’information traumatique et réactive le système naturel de guérison du cerveau pour qu’il complète son travail. »
Sans afficher de certitudes, Francine Shapiro propose un rapprochement entre l’EMDR et le sommeil à mouvements oculaires rapides, ce moment où l’on rêve mais où s’effectue également la répartition mémorielle. Car évidemment, tout repose sur la mémoire, sur l’encodage du souvenir et des émotions qui l’accompagnent. Ce qui soignerait, dans l’EMDR, c’est de « reformater » cet encodage. Replongé dans son passé afin d’être au plus près des perceptions sensorielles éprouvées au moment de l’événement, le patient est conduit, grâce à une stimulation sensorielle, à concentrer son activité cérébrale sur le présent. De cette polarisation naîtrait la possibilité de retraiter le traumatisme par dissociation de l’émotion et du souvenir. D’où le fait que celui-ci ne disparaisse pas. Il se délivre de sa charge émotionnelle, comme après un deuil.

 

AVEC QUI ?

Choisir un thérapeute agréé
Cette réactivation traumatique n’est pas sans risque. « Beaucoup de choses remontent entre les séances, raconte Cécile. J’ai eu par exemple un flash concernant un gros traumatisme subi dans ma petite enfance, dont j’avais complètement oublié l’existence. » Un traumatisme pouvant en cacher un autre, il est indispensable de pratiquer l’EMDR avec un psychiatre ou un psychologue dûment formé. Ils sont actuellement plus d’une centaine en France.

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